[Kitetoa, les pizzaïolos du Ouèb

Denis Robert publie Une affaire personnelle

J'ai longtemps travaillé au coeur de la finance. Comme « journaliste financier ». Neuf ans à écrire pour être lu par les plus grands banquiers, traders, analystes et autres financiers français. Je les ai côtoyés de près. C'est un monde à part. Probablement pas beaucoup plus à part que celui du secteur pétrolier, ou que celui de la politique. Mais a part tout de même. Il a ses codes, son jargon. Et développe une forme de nombrilisme assez particulier tout en se plaçant dans une réalité parallèle. M. Tout-le-monde voit le monde de la finance comme le monde de la finance veut être vu. C'est assez simple à réaliser. Il suffit d'avoir les bonnes caisses de résonance. Les journalistes économiques et les journalistes financiers font cela très bien. Et comme ils sont « repris » par les journalistes de la presse généraliste, le message passe.

Pour ceux qui lisent les articles de Kitetoa.com depuis longtemps, ce ne sera pas une surprise, je n'ai jamais aimé être une caisse de résonance. J'ai toujours pensé que celui qui avait quelque chose à dire à un journaliste le faisait parce qu'il pensait en retirer un bénéfice. Je doute. C'est mon côté « mauvais esprit ». Je ne dois pas avoir le « team spirit ».

Peut-être aussi dois-je dire combien m'ont toujours révulsé les comportements des journalistes qui acceptent une trop grande proximité avec leurs interlocuteurs. Accepter les déjeuners dans les grands restaurants où ils n'iraient jamais manger de leur propre chef, partir en voyage de presse dans des palaces en échange d'un bel article au retour sur un sujet sans intérêt, se laisser tutoyer par un interlocuteur franchement un peu trop familier pour être honnête, tout cela me semble participer à la désaffection des lecteurs. Et donc, à la mort programmée de la presse. Je passe sur la prépondérance actuelle de la pub, du marketing et des actionnaires sur le poids des rédactions. Ce serait trop long.

Tout ça pour dire que le jour où je suis tombé sur Révélation$, puis sur La boite noire, deux livres de Denis Robert, je suis resté scotché.

Cet auteur me replongeait au coeur d'un monde que j'avais quitté depuis longtemps. Le même jargon, la description pointilleuse et méticuleuse de l'intérieur du coeur de la finance. Pas la finance de base. La finance d'en haut. Celle dans laquelle j'avais évolué.

Renseignement pris sur la personne, je découvre qu'il n'est pas un journaliste financier et qu'il n'a -a priori- pas la formation nécessaire pour comprendre les rouages de la finance internationale. Je me dis immédiatement : il a du faire un sacrée enquête pour dépeindre aussi bien ce milieu. De fait, le rédacteur en chef d'un journal financier n'aurait pas écrit autrement. Si tant est qu'il ait bien voulu aller fouiller dans les dessous du monde auquel il appartient. Ce qui est peu probable tant ces rédacteurs en chef se tapent sur l'épaule avec les principaux banquiers de la planète.

Journalisme engagé : de quel côté ?

La neutralité journalistique, je n'y crois plus depuis longtemps. Et les connivences avec l'écosystème dans lequel évolue chaque journaliste ne me semblent pas participer positivement à la construction d'un « engagement » journalistique. Sauf à trouver utile que les journalistes servent la soupe à leurs interlocuteurs au travers de leurs articles. Bref.

A lire ses deux livres, qui vont déclencher la véritable affaire Clearstream, par opposition à celle impliquant l'ancien, l'actuel locataire de l'Elysée et l'ex-premier ministre ainsi que quelques adeptes du monde pseudo fascinant des espions, je me suis dit la chose suivante... De deux choses l'une : soit ce type est fabuleusement bien renseigné, il a compris et retranscrit très justement ce qui constitue la véritable réalité du monde de la finance, soit il est un adepte de la théorie du complot et ce qu'il raconte est impossible, le monde de la finance étant, comme chacun le sait, un monde de bisounours. En même temps, aurait-il gagné tant de procès en diffamation intentés par Clearstream et des banques si tout cela n'était que théories du complot ? Ahem...

J'avoue avoir opté pour la première hypothèse.

Mais nous ne sommes pas très nombreux dans la profession à l'avoir fait. Les autres ont choisi, à mon humble avis la solution de facilité.

Car valider les informations de Denis Robert demandait un travail énorme : confronter ses informations, retrouver et interroger les témoins, fouiller les poubelles du monde de la finance, poser des questions qui dérangent à ses contacts habituels. Et donc risquer de perdre ses sources.

Parce que lorsqu'un journaliste ne fait pas ce que l'on attend de lui, dans le monde de la finance, les mêmes qui vous tutoyaient et vous invitaient en régalant largement, vous placent sur une liste noire.

Je peux en témoigner. Cela m'est arrivé il y a fort longtemps avec Visa. Une histoire amusante. L'organisation m'avait invité pour sa réunion annuelle. Les débats étaient passionnants et portaient sur les nouvelles technologies, Internet qui arrivait, les intervenants étaient de grande qualité. Bilan : de longs articles au retour. L'année suivante : même invitation. Mais là : rien. L'organisation n'avait rien à dire. Débats creux. Article au retour : celui-ci. J'avais passé des mois à lire les discussions des experts qui planchaient sur les technologies à mettre en place pour sécuriser -selon Visa, MasterCard et quelques autres- les paiements en ligne. Ca devait s'appeler SET. Et ces experts, dans leur mailing-list laissaient entendre, en gros, que ça ne marcherait jamais. D'autres sources françaises me confirmaient les difficultés. L'appareil de communication des banques membres de Visa et Visa elle-même martelaient que SET allait être une vraie révolution, et que le standard de sécurisation allait bientôt arriver. Au retour du voyage, j'ai écrit que ça ne marcherait jamais. Dans un canard lu par l'élite de la finance. Ca n'a pas plu. Tricard pendant des mois. Les autres journaliste du canard aussi. Par rebond. Ridicules. Cela m'a-t-il empêché d'écrire sur Visa ? D'obtenir des informations ? Non.

Quatorze centimètres

La vie est un croisement permanent de « hasards » parfois troublants. J'ai ainsi pu lire des articles qui descendaient le travail de Denis Robert écrits par des gens avec qui j'avais travaillé par le passé. Par exemple Sophie Fay dans Le Monde (lisez le commentaire de Laurent Beccaria). Je l'aimais beaucoup Sophie. Lorsque l'on travaillait ensemble, elle était très consciencieuse. J'ai pas mal appris à son contact. Elle était plutôt gentille dans un monde de gens pas très sympas. Elle avait sans doute de bonnes raisons, à son avis, de descendre Denis Robert. Moi je pense que son analyse était erronée.

Quand j'empile sur mon bureau Révélations, La boite noire, La domination du monde, Clearstream, l'enquête et Une affaire personnelle (le dernier bouquin de Denis Robert), j'obtiens 14 centimètres de hauteur. Autant de mots, autant d'années de travail, autant d'informations, autant de conséquences qui tiennent dans 14 cm.

C'est pathétique : c'est justement ce qu'on fait une majorité de journalistes. Résumer à 14 centimètres des années de travail. Monter en épingle une erreur, résumer toute une enquête à cette erreur. Discréditer le reste. Refuser de vérifier. « C'est trop compliqué tout ça ». « Ca n'intéresse personne à part Denis Robert ».

Pardon, mais moi par exemple, ça m'intéresse.

Et non, je ne trouve pas ça trop compliqué. C'est marrant mais le « c'est trop compliqué » a également été appliqué à l'affaire « Clearstream 2 ». Celle des locataires de l'Elysée, de l'ex-premier ministre et des « wannabe espions ».

Moi je l'ai trouvée très simple aussi cette histoire-là.

Il y a probablement plein de choses qui nous séparent Denis Robert et moi. Il aime le foot. Je déteste ce sport. Il ne dédaigne pas boire un coup. Je ne bois jamais d'alcool. Ce qui ne m'empêche toutefois pas de trouver un très grand plaisir à la lecture des quelques pages de son dernier livre, Une affaire personnelle, dans lesquelles il décrit d'hallucinantes cuites. C'est unique...

Affaires judiciaires : brouillard grivrant

Mais il y aussi beaucoup de choses qui nous rapprochent. Plus importantes. Ce désenchantement face à cette profession que l'on avait embrassée, le journalisme. Toutes proportions gardées, une capacité à faire passer nos « vérités » via d'autres canaux que la presse. La difficulté à laquelle il faut faire face pour faire comprendre au plus grand nombre les histoires tordues que l'on a découvertes. Mais surtout, à mon sens, la très grande difficulté qu'il y a à rendre compréhensible une complexe histoire judiciaire dans laquelle on est plongé.

Il faut avoir vécu un procès pour en comprendre la subtilité, la complexité. Vu de l'extérieur, un procès offre toujours une vision parcellaire. Si l'on est pas l'une des parties, on ne peut en saisir l'ensemble. Et encore. On est l'une des parties et l'on voit donc midi à sa porte. La justice est quelque chose d'intrinsèquement codifié. Le bon sens populaire ou la morale n'a généralement rien à y faire, ce qui est dur à comprendre pour M. Tout-le-monde (voir l'affaire de l'annulation du mariage à Lille par exemple). Les journalistes qui écrivent sur une histoire judiciaire ont souvent du mal à s'extraire de leurs propres analyses, à rester factuels et neutres, en collant au plus près à ce que la procédure fait ressortir. Pour bien comprendre un procès, ses enjeux, les implications de chacun, il y a bien sûr le dossier d'instruction (souvent trop volumineux pour être lu dans son ensemble par un journaliste "forcément" pressé) et le procès en tant que tel avec son jugement, parfois motivé.

Bref, dans une histoire comme celle de Denis Robert, avec des procès à tiroirs, dans plusieurs pays, pour des motivations parfois différentes, les commentateurs ont vite fait de ne rapporter qu'une partie des enjeux, de se laisser enfumer par la complexité des procédures. N'est pas juriste qui veut. En revanche, nombreux sont les experts en juridisme. Et ces experts-là font généralement beaucoup de mal en professant leurs analyses.

Et puis il y a toujours les « incrédules » qui posent ingénument (forcément) la question : mais si vous en êtes là, c'est bien que vous l'avez un peu cherché quand même. J'ai un exemple en tête assez précis. Ce sont tous ceux qui écrivent ici ou là que si Jean-Paul Ney s'est autant déchaîné contre moi et ma famille c'est que forcément, je l'avais bien énervé d'une manière ou d'une autre. Justement. Non ?

Non. Je n'ai rien fait. Et ce Denis Robert, s'il a tous ces procès, c'est pas un peu qu'il l'aurait bien cherché ? Eh bien non. Justement, pas.

En outre, il y a la difficulté à expliquer à un juge, qui n'est pas toujours un expert du sujet traité, les aspects techniques de l'affaire. Cela s'est vérifié pour moi en première instance face à Tati. Mais aussi pour Guillermito face à Tegam. Ou encore dans l'affaire Larsen. Il arrive que les juges fassent appel à des experts. Qui ne sont pas toujours très pointus et peuvent orienter une décision dans le mauvais sens. Allez expliquer à un juge les mécanismes techniques de la finance internationale... Les acteurs eux-mêmes disent à l'occasion de la crise des subprimes que ces mécanismes sont devenus tellement compliqués que personne n'y comprend plus rien. C'est dire... Tiens, encore des « de toutes façons, c'est trop compliqué » bien opportuns.

La main invisible mériterait-elle une baffe ?

Ce que tout le monde comprend en revanche, c'est que le monde de la finance ne veut pas de régulation. Il aime s'auto-réguler. Les économistes n'ont-ils pas développé le concept fumeux de la « main invisible » qui régulerait le marché ? Objet de nombreux livres, ce qui me laisse, je l'avoue, perplexe. Mais passons. Le Financial Times que l'on ne peut pas taxer de gauchisme ou d'anti-libéral s'est lui même ému récemment dans de nombreuses tribunes du fait que les banques avaient fait la preuve, une nouvelle fois (combien de crise faudra-t-il), de leur incapacité à s'auto-réguler. Le quotidien financier expliquait que les banques et plus largement, les marchés, refusaient la régulation par les textes, se faisaient les chantres du libéralisme, mais appelaient à l'aide l'Etat, dès qu'elles avaient merdé. Le procédé est connu de longue date et revient sur le devant de la scène à chaque crise, à chaque faillite de banque. Les banques et les marchés brandissent le spectre du « risque systémique ». De « l'effet domino ». En clair : nous nous devons tous de l'argent entre nous. Si un gros poisson s'écroule, tout s'écroule. C'est la crise la plus noire que l'on puisse imaginer pour le système capitaliste. Et par rebond, on aurait des révolutions. L'Etat n'aime pas les révolutions. Alors il met la main à la poche. Au final, ce sont les citoyens qui payent les conneries d'un tout petit nombre. Mais ce tout petit nombre a une « qualité » particulière. Quand il fait des conneries, elles coûtent très cher.

Passez à la B.A.N.K et rencontrez Denis Robert sans toucher 20.000

J'ai interviewé Denis Robert dans le cadre d'un article que j'ai publié sur Kitetoa.com à propos d'Imad Lahoud et d'EADS. Je l'ai croisé quelques instants au vernissage de son exposition à la galerie La B.A.N.K. Il m'a très gentiment signé une dédicace (ça doit être fastidieux de faire des dizaines de dédicaces). J'ai passé quelques minutes devant le mur sur lequel il avait affiché les dizaines de documents remis par les huissiers pour le compte de la multinationale qui le harcelle judiciairement. Pendant ce laps de temps, j'ai ressenti pas mal d'empathie pour Denis Robert. J'ai trouvé relativement pathétique la multinationale et les banques qui déploient une telle animosité judiciaire à l'encontre d'un particulier. Car, toutes proportions gardées, cela me replongeait quelques années en arrière lorsque Tati m'avait choisi comme moyen simple de faire passer la colère de son patron. Alors que Tati pouvait s'attaquer à un journal (qui avait dévoilé les données personnelles d'une de ses clientes) ou à son prestataire technique (qui avait failli à les protéger), l'entreprise avait choisi de dépenser son budget contentieux contre un particulier qui avait à cette époque à peu près 500 francs à mettre sur la table pour sa défense. Elégant et courageux à la fois...

Bref, depuis quelques années, lorsque Denis Robert sort un livre, je l'achète. Je n'ai pas dérogé à cette règle et j'ai fait l'acquisition d'Une affaire personnelle, paru chez Flamarion et vendu 19,9 euros chez tous les bons libraires. J'aurai pu tenter une « critique » ou un compte-rendu du bouquin. J'ai préféré vous livrer ces quelques réflexions d'ordre général. Chacun sa voie...

Mais vous voulez que je vous dise ? Une affaire personnelle, c'est vraiment bien. Très bien ! Surtout si vous voulez comprendre ce qui se passe dans la tête et dans le quotidien d'un gars qui subit un tel acharnement judiciaire de la part des entreprises très riches sur lesquelles il écrit.

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