[Kitetoa, les pizzaïolos du Ouèb

Date de parution : 31/12/1996

Internet : 1996, l'année de la maturité ?

Le World Wide Web (WWW), objet de toutes les convoitises et de tous les rêves serait-il arrivé à maturité à peine trois ans après sa naissance ? La prolifération des serveurs à vocation commerciale dans tous les domaines d'activité, l'arrivée de la publicité sous de nouvelles formes semblent appuyer cette thèse. Mais on parle là de maturité dans un sens très économique. Après un intérêt amusé, Internet, ce réseau de" tuyaux "mondial qui permet de faire toutes sortes de choses pour un coût minime, semble avoir enthousiasmé autant les financiers, les militaires, que les passionnés d'informatique, qui le considéraient comme un nouvel outil de démocratie et de progrès social. Or, pour ces derniers, le WWW a dépassé la maturité, il est obsolète, voire corrompu.

L'année écoulée devait être celle de l'avènement du commerce électronique mondial. On en est encore loin. Si de très intéressantes solutions comme celles de CyberCash ou de GC-Tech sont apparues, le standard mondial accepté à la fois par toutes les banques et tous les utilisateurs est encore très loin devant nous. Visa et Mastercard promettent la mondialisation de SET (Secure Electronic Transaction) pour 1998 - une date sans doute un peu optimiste -, mais rien ne garantit que ces spécifications techniques deviendront le standard tant attendu. Par ailleurs, des réactions peuvent encore apparaître lorsque les banques membres des deux organisations se pencheront un peu plus sur ces spécifications. Au-delà de ces interrogations, il faut admettre que SET n'est pas la panacée en matière de sécurité et il faudra attendre que ces spécifications reposent sur les cartes à puce nouvelle génération (EMV) pour atteindre un niveau de sécurité maximal, ce qui n'est pas pour demain ... L'alliance récente entre Visa, Mastercard et Europay ressemble fort à un aveu de la part des organisations qui, jusqu'ici, criaient haut et fort que SET serait généralisé partout dans le monde en 1998 comme moyen de paiement sécurisé sur réseaux ouverts. Mais - et à titre de comparaison - l'interbancarité française fondée sur la carte à puce ne s'est pas faite en un jour...

En termes de commerce, le World Wide Web est devenu un nouveau canal (et un nouvel outil marketing) que les entreprises américaines ne veulent plus (ou ne peuvent plus ?) ignorer. Il s'agit, en fait, d'un mouvement de fond initié par l'administration Clinton. Celle-ci milite pour un développement rapide du commerce électronique et engage toutes les agences gouvernementales à une réflexion poussée dans ce sens. Dernier acte, la Maison-Blanche souhaite une implication minimale des autorités dans ce développement . Au point qu'il lui semble inutile que de nouvelles taxes soient appliquées au réseau. Les entreprises ont emboîté le pas de l'administration il y a déjà deux ans.

Mais 1996 a bien été l'année de la maturité sur le plan de la réalisation. A titre d'exemple, les alliances dans le domaine des télécommunications (comme celle de MFS-UUNET-WorldCom) laissent rêveur et augurent d'une puissance à venir incomparable des Etats-Unis dans le domaine des réseaux . Certaines sociétés, comme Cisco, semblent être en passe de réaliser les phantasmes de ses concurrents, puisque son chiffre d'affaires réalisé au travers du réseau devrait atteindre 30 % du total avec plus de 1 milliard de dollars. Les avocats américains sont en ligne et les sociétés de Bourse n'hésitent pas à se manifester. Dans le sillage des discount brokers et des marchés financiers, la SEC elle-même demande aux entreprises cotées de lui fournir leurs" filings" sur support électronique afin qu'ils puissent être accessibles sur le WWW. Autant de signes qui ne trompent pas sur l'intérêt des entreprises pour le Web.

L'armée en embuscade

Depuis la chute du mur de Berlin, le chemin parcouru semble démontrer que les risques de guerre classique entre les Etats-Unis et le bloc soviétique sont très réduits. Ce qui n'a pas pour autant rendu inutiles les agences gouvernementales américaines de sécurité intérieure ou extérieure. Ainsi, la CIA, le FBI, la NSA ou, encore, l'Information Systems Security (Infosec), relayés par l'armée, ont, au cours de l'année écoulée, augmenté leur pression pour faire reconnaître que la prochaine guerre serait sans doute électronique. Internet, ne l'oublions pas, est l'oeuvre de l'armée américaine. Ne doutons pas que, en attendant une improbable police mondiale du réseau, ces agences américaines regarderont de très près ce qui se passe sur Internet. De même, il est à craindre que la CIA s'intéresse de près aux données financières stockées sous forme digitale, aux Etats-Unis comme à l'étranger.

C'est pour lutter contre d'éventuelles atteintes à la vie privée que ceux qui voyaient Internet comme un outil de démocratie et de progrès social ont lutté avec acharnement contre toutes les tentatives de contrôle du réseau. Il leur semblait sans doute dangereux de laisser les autorités disposer d'un pouvoir" officiel" de contrôle.
Le combat pour la liberté d'expression le plus médiatisé cette année aura sans doute été celui du Communication Decency Act. L'article 507 du texte sur la réforme des télécommunications visait à imposer des peines de deux ans de prison et des amendes de 250.000 dollars pour tous ceux qui auraient transmis un document" indécent" pouvant être visionné par un mineur. La bataille a été rude tout au long de l'année et la Cour suprême des Etats-Unis devrait statuer sur la constitutionnalité du texte en 1997.

Quelle que soit l'évolution du World Wide Web et quelles que soient les influences des pouvoirs financiers, économiques ou militaires, il est peu probable qu'Internet ne reste pas un vecteur d'informations non contrôlées. Car si l'on parle beaucoup du WWW, on a trop tendance à oublier certains outils comme le FTP, la visioconférence, l'IRC ou le courrier électronique.

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