Que dit-on généralement dans un avant-propos ?
Je vais commencer par là : tout ce que vous allez lire dans les pages qui suivent repose sur un fond de réalité. Je nai rien écrit qui soit inventé de A à Z. Disons que lorsque vous lirez un chapitre, A ou Z sont des événements réels qui ont eu lieu. Le reste, ce qui est vraiment sorti de mon imagination pourrait arriver. Il ny a pas de limites techniques à ce que je décris.
Maintenant, comme cest la coutume, je vais tenter dexpliquer pourquoi jai voulu écrire ce livre. Et comme il se doit, je pense que je ny parviendrai pas totalement.
Jai longtemps été journaliste financier. Neuf années à tenter de transmettre linformation. Ma matière première était donc " linformation ". Je la recueillais, la disséquais, lanalysais, la ruminais même parfois, pour mieux la transmettre. Car finalement, comme disent certains hackers du réseau, " le savoir nest pas un crime ". Sous-entendu, il ny a pas dinformation quun individu ne doive pas connaître. En clair, contrairement aux Etats ou, plus généralement, à ceux qui détiennent linformation et qui prennent souvent les citoyens pour des imbéciles incapables de " comprendre ", le journaliste tente de diffuser un " savoir " : une information.
Une discussion dans le bureau du Directeur général de mon ancien journal, a marqué le début de ce livre quelque part en 1996.
Pour bien comprendre la suite, il convient de connaître le particularisme, à mon sens le plus étonnant, du monde de la presse. Dans un organisme de presse (pour simplifier, nous dirons un journal), il y a deux têtes. Deux personnes qui dirigent. Comme si un corps disposait de deux cerveaux non interconnectés. Chaque cerveau contrôlant une jambe, un bras, un il, etc. Bref, il y a dans un journal le Directeur général (ou Président) qui gère lentreprise et qui est responsable des moyens de production ou des salariés (administration, publicité, etc.). Et puis, il a également le Directeur de la rédaction. Il dirige pour sa part les " rédacteurs ". Bref, il est le chef des journalistes Tout est dit Il dirige selon lui- la matière grise du journal. Tandis que le Directeur général soccupe du tout-venant. Tout au plus ce dernier est-il bon à assurer la pérennité du titre afin que les journalistes puissent continuer à exprimer leurs grandes idées, à transmettre leurs " messages ". De son côté, le directeur général est persuadé que les journalistes et le Rédacteur en chef ne sont que des prétentieux juste bons à " pisser de la copie " suffisamment intéressante pour permettre au service " pub " de vendre de lespace
Bref, généralement, tout ce petit monde se méprise cordialement et surtout, jalouse secrètement la " spécificité " de lautre.
Tout cela pour dire que, dans le cadre dun projet particulier, jai été amené à travailler très étroitement avec le Directeur général de mon ancien journal. Or ce Directeur, qui très nettement, méprisait les journalistes et de surcroît, détestait les ouvriers du livre (ceux qui soccupent de la fabrication du journal à Paris-), aimait discuter. Il lui fallait refaire le monde en permanence. Un peu comme aiment à le faire les directeurs de rédactions, les rédacteurs en chef ou les journalistes en conférence de rédaction. Bref, il aimait, avec moi comme " journaliste-témoin ", jouer, inconsciemment, au rédacteur en chef.
Un jour, donc, nous voici réunis dans son bureau. " Nous entrons dans le siècle de linformation ", me dit-il. " Linformation sera la matière première, le véritable pouvoir reviendra à celui qui détiendra linformation ". Partant de là, il disserte sur la mise en place de conglomérats de linformation, de CNN en passant par Microsoft pour finir sur une entreprise qui détient désormais un vrai petit monopole dans le domaine des données financières. Jentre dans son jeu et le pousse plus loin : " mais si lon entre dans le siècle de linformation, cela veut dire quelle aura une valeur. Quelle valeur ? Si cette valeur est suffisamment grande, verra-t-on un jour une guerre de linformation ? Linformation sera-t-elle lenjeu ou larme dune guerre ? Et quelle forme prendrait une telle guerre ? ".
Ce qui est amusant dans cette conversation, cest le décalage entre la perception de la valeur de linformation que peut avoir le Directeur général et celle que je peux en avoir, moi, simple journaliste. Nous utilisions le même mot dans la même discussion et nous ne lui donnons pas du tout le même sens.
Pour un journaliste " pur et dur ", linformation na pas de valeur. Alors que de nombreuses personnes seraient prêtes à payer pour obtenir ce que nous savons (notamment dans le secteur qui était le mien à lépoque : la presse financière destinée aux professionnels), nous navons quun but : la publier. Or, le journaliste ne gagnera pas une prime parce quil publie un scoop. Tout au plus sera-t-il content sil est " repris " par les confrères et les grandes agences de presse
De son côté le directeur général espère vendre des millions en publicité parce que son journal est connu pour publier de bonnes informations et donc, pour être apprécié des lecteurs
La conversation sur la forme que prendrait une guerre de linformation donc forcément électronique- et sur les moyens utilisés, a duré longtemps. Elle est revenue au fil des mois Nous navions pas les mêmes opinons
Pour ma part, je continuais à vivre de lintérieur la croissance dInternet à observer ce réseau, avec un il de journaliste et parfois, peut-être, de sociologue. Au fil du temps, des articles, lidée a germé. Je devais écrire un livre. Pour décrire et " dire " ce que je pressentais. Ce quétait mon analyse de lavenir, si tant est que lon puisse lire dans une boule de cristal
Cela peut sembler prétentieux. Mais ce nest pas le cas.
Lidée, était, je pense, de disséquer, danalyser, de ruminer peut-être, le monde qui mentourait, cest-à-dire ce réseau, pour mieux expliquer - comme le fait généralement un journaliste - les enjeux de " tout ça ". (1)
Reste que dans le cas précis, il est bien difficile dexpliquer à quoi ressemblera la prochaine guerre de linformation puisque tout cela nest arrivé, jusquici, que par bribes. Il ma donc fallu créer une " fiction ", un fil conducteur qui servirait dexemple pour une démonstration. Cest fait. Ce sont les pages que vous allez lire. A linverse dun roman classique, je ne me suis pas attaché à vous décrire dans le détail les personnages. Ils ne sont quun prétexte pour que je puisse vous raconter cette histoire. Peut-être ce livre aura-t-il un jour une suite, ce qui permettrait de prendre un peu de temps pour vous en dire plus sur les personnages ? Sachez toutefois que ce " fil conducteur ", cette histoire, est souvent plus réel que ce que vous pouvez croire.
A titre dexemple, la société FirstCorp existe parfaitement, et les services français qui auraient dû être concernés, ne la connaissaient pas. A titre dexemple encore une fois, une société française a été lobjet dune très belle opération de désinformation au travers dInternet reposant sur un rapport plus vrai que nature expliquant combien lun de ses produit était dangereux. La plupart des personnages existent également.
Enfin, en mars 1998, le premier hacker qui préfigure les pirates informatiques qui sont décrits dans ce roman initié en 1996 a fait parler de lui. Lorsque lon parle dInternet, on parle souvent de Nouvelles Technologies de lInformation et de la Communication (NTIC). Les Américains disent plus simplement Information Technologies (IT). Au delà de la maîtrise de la technologie (T), ce hacker a utilisé le I de NTIC et de IT. Il maîtrisait les technologies mais a surtout maîtrisé linformation. Disons que dun " hacking de comptoir " peu subtil, il a fait une affaire dEtat en utilisant le réseau et ses vecteurs dinformation pour faire mousser son histoire. Pour faire gonfler la bulle de savon. Sachant quInternet fait circuler linformation bien plus vite que nimporte quel autre medium, les effets sont bien plus importants.
Il ne manquait sans doute à ce hacker quune structure, quun but précis pour que le cauchemar que je décris dans les pages qui suivent devienne une réalité.
Qui sera prêt pour faire face à ce cauchemar sil devait devenir une réalité ?
Mon expérience me pousse à tirer le constat suivant : sans doute pas les services spéciaux. Encore moins les entreprises. Quelques " hackers " sans doute qui tenteront de sopposer. Mais auront-ils les moyens de faire face ? Rien nest moins sur.
Pour finir, je dirais que lorganisation dont nous allons parler plus loin existe. Je lai croisée, fréquentée plusieurs fois sans même men rendre compte. Au travers de personnes que je croyais dispersées. Mais qui sont en fait membres dun groupe unique et mouvant. La composition de ce vaste groupe mondial change chaque jour. A linverse de celle que jai imaginée, cette organisation na pas de buts négatifs. Ni de structure ou dorganisation précise. Ce groupe existe sans finalement se soucier du fait même quil existe
:)