[Kitetoa, les pizzaïolos du Ouèb

Une conférence sur le thème "Justice et politique en Italie, la lutte anticorruption (1992-2000)"

Nous avons assisté à un passionnant colloque sur l'opération "mains propres" en Italie. Une bonne occasion de se replonger dans un passé pas si lointain et de mieux comprendre ce qui s'est passé chez nos voisins.

Piero Ignazi, Professeur de science politique à l'Université de Bologne a ouvert la journée en tentant d'expliquer les conditions qui ont favorisé le déclenchement de l'opération "mains propres", cette vague de lutte anti-corruption qui a marqué les années 90 en Italie.

Selon Piero Ignazi plusieurs facteurs ont joué. Le système politique, une démocratie reposant sur une grosse fracture idéologique avec un gouvernement faible et un Parlement de type "foire d'empoigne", survivait grâce à des accords entre les élites politiques et économiques. Ce qui ouvrait naturellement la voie à corruption. Au milieu des années 80, le clivage politique n'est plus aussi important. D'ailleurs, le deuxième facteur (contexte international) va jouer. L'opposition Est-Ouest est moins marquée. L'adoption du traité de Maastricht imposant une grande rigueur financière marque un tournant après des années d'endettement démesuré.  Enfin, l'opinion publique est vraiment lassée de la politique, ce qui était une constante depuis des années, mais elle est surtout très pessimiste à propos de son avenir. Ceci est en revanche une rupture à partir du début des années 90. Les conditions sont donc là pour que quelque chose se passe...

Alessandro Pizzorno, professeur émérite de l'Institut universitaire européen de Florence s'est quant à lui penché sur le système judiciaire de son pays afin d'expliquer comment "mani pulite" a été possible.

Première chose, l'indépendance externe du parquet, par rapport aux politiques, est inscrite dans la constitution. L'indépendance interne, des  procureurs par rapport à la hiérarchie, est également réelle.

Sur l'intensité de la corruption, Alessandro Pizzorno rapporte une anecdote que lui avait confiée un président de Chambre de commerce et d'industrie italien... Celui-ci se rendait en France, en pleine opération "mani pulite" pour rencontrer ses homologues. La discussion vient, bien entendu sur l'actualité judiciaire italienne. Il explique que parfois, les entreprises sont même obligées de verser 9% du montant des contrats... Son homologue français répond: Tant que ça? Nous, avec 3% on est quittes.

Comme quoi même là où on n'en parle pas, elle existe aussi...

Il a par ailleurs rappelé qu'il y a eu plus de décisions judiciaires définitives en France pour des hommes politiques impliqués dans des affaires de corruption qu'en Italie... Un problème de surmédiatisation?

Alessandro Pizzorno a fait un bref rappel de ce qu'est la politique pénale... l'Etat donne sa protection en échange d'impôts. Il fournit une sorte d'ordre public, la sécurité des biens et des personnes, la sauvegarde des libertés individuelles. Il élabore la norme pénale, crée les conditions de la prévention, favorise la recherche des auteurs des infractions et la poursuite des auteurs ainsi que leur jugement.

En Italie, sur le plan judiciaire, on trouvait très peu de poursuites pour corruption. Dans un pays qui ne connaît pas de véritable cohérence de la répression puisqu'il n'y pas de véritable centralisation, il n'y pas de priorités données. Mais cette indépendance du parquet fait que l'on peut enquêter plus facilement sur la justice elle-même ou sur les hommes politiques...

Des faits établis

Restait à tirer un bilan de huit années de "mani pulite". C'est ce qu'à fait Gherardo, Colombo. Avec une vision très pratique de ces événements, puisqu'il est substitut du procureur de la République de Milan.

Tout cela a commencé par un fait très banal. Une toute petite tentative de corruption a déclenché une enquête qui a impliqué plus de 5000 personnes, d'anciens présidents du conseil, de nombreux ministres, 250 parlementaires, 100 personnes de la police financière, de nombreux fonctionnaires, dont des juges, et bien entendu des représentants de partis politiques, a lancée le substitut, en préambule.

Les délits étaient là. Ils laissaient peu de place à l'interprétation du juge. Le fait le plus courant était de recevoir de l'argent pour favoriser une entreprise plutôt qu'une autre. Sur le plan politique, il s'agissait de financements privés non publics. Les entreprises versaient des fonds sans les faire apparaître dans leurs bilans. Ce qui est illégal, a-t-il souligné.

Cette histoire pose-t-elle des problèmes de fond sur le lien entre justice et politique, s'interroge le substitut. Les faits étaient établis et les personnes identifiées. Le juge n'avait finalement qu'à dire le droit. Mais bon, une bonne part des personnes impliquées étaient des politiques...

Sur le fait que mani pulite était justifiée ou pas, je prend comme exemple le nombre d'acquittement en moyenne, en temps normal: 20%. Pendant mani pulite, ce taux est tombé à 10%. Ce qui démontre que les faits étaient qualifiés. Les procès étaient donc justifiés, a précisé le substitut.

Le problème du contrôle de l'action du ministère public se pose sans doute, indique le substitut. La constitution garantit l'indépendance des magistrats et prévoit comme contrepoids le principe de l'action pénale obligatoire, précise-t-il. Ce qui veut dire que théoriquement on pourrait exclure un contrôle ou une coordination parce que tous les délits doivent à priori être poursuivis... "Je ne rentrerai pas dans le débat de savoir si cette obligation est toujours respectée. Dans le  cas contraire, effectivement, il faut trouver un moyen de la faire respecter", lâche le substitut. 

"La chute du mur de Berlin est un événement qui, à retardement, a affaibli les centres de pouvoirs et a permis le déclenchement des enquêtes les concernant. Le temps a passé, cela fait huit ans et demi que mani pulite a commencé. Et on est revenu lentement à la situation antérieure. Il serait aujourd'hui aussi difficile de faire émerger le problème de la corruption si elle est toujours là. A Milan, les quatre procureurs du pool mani pulite ont fait 3200 demandes de jugements. 935 décisions définitives. Les autres sont donc en attente. Comme les termes de prescription pour la corruption et délits financiers sont de 7 ans et demi. Nous travaillons sur des délits qui, au moment de la décision, seront sans doute prescrits. Pourquoi ce problème? Parce que pendant tout ce temps on n'a pas élaboré des lois qui facilitent la découverte de la corruption.  Le fait qu'il y ait cette prescription renforce une sensation d'impunité des délinquants. Cela devient presque impossible de voir arriver dans le bureau des procureurs des informations sur ces délits. L'entrepreneur qui a dénoncé le premier le problème qui a déclenché mani pulite... a fait faillite...

La situation actuelle est donc assez mauvaise. Rien n'a été fait, en dehors des palais de justice pour lutter contre la corruption", conclut le substitut. Mais sa détermination à continuer sa lutte ne fait aucun doute...

Introspection pour la presse

Bernardo Valli, chef du bureau de presse de La Republica à Paris a apporté sa vision de l'implication de la presse dans cette histoire... "La presse a dabbord écrit ce que les lecteurs voulaient lire", précise-t-il. Elle a modifié plus tard sa position. La population était un peu comme les tricoteuses de la révolution française... Il y a eu une saturation au  bout d'un moment. La période du terrorisme avait mis le magistrat en avant sur la scène publique. Mains propres commence après la période du terrorisme. Les liens avaient été tissés entre la presse et les magistrats pendant la période du terrorisme. Pendant main propres, le mêmes journalistes deviennent les hauts-parleurs des magistrats, ce qui empêche d'enterrer les dossiers. Dans le vide politique qui se crée avec mani pulite et la déliquescence du parti au pouvoir depuis la libération, Démocratie chrétienne, Silvio Berlusconi s'engouffre et crée un parti. Il est lui même sous le coup d'enquêtes. L'opinion publique se retourne. Aujourd'hui, la presse ayant vu le désintérêt des lecteurs, fait très attention à ne pas exagérer l'importance des informations concernant la lutte anticorruption.

Une introspection qui devrait être étudiée dans les écoles de journalisme françaises...

Franco Cazzola, professeur de science politique à l'université de Florence a remis les pendules à l'heure. Mani pulite n'est pas grand chose de plus que ce qui existait déjà... "J'espère que nous pourrons nous revoir dans quelques années car nous pourrons reparler de la nouvelle explosion de la corruption en Italie", a-t-il lancé. C'est récurent, ce genre de scandales. Depuis la fin de la guerre: le scandale de la pénicilline, de l'aéroport de Rome, le scandale des bananes, du tabac, des avions Lockheed... La différence avec mains propres, c'est la connexion de la classe politique, de la mafia et de la corruption dans la même affaire. Mais le processus pour en sortir est le même. Les gens s'indignent. Puis se lassent. Puis il y a les jugements qui sont généralement pas trop sévères, c'est le temps de la paix retrouvée. Jusqu'au prochain scandale, conclut-il...

Cela pose peut-être la question de savoir si la corruption n'est pas endémique dans le système économique qui nous gouverne...?

La haine du sommet de l'Etat (union sacrée...)

Denise Detragiache, maître de conférences de droit public à l'université Paris II a pour sa part expliqué la réaction contre les juges. Car si l'opinion publique s'est lassée de ces scandales, il y a aussi eu une haine de Betino Craxi et Berlusconi qui ont poussé les feux contre les juges. Ils avaient eux-même été la cible de ces derniers. Ceci expliquant sans doute cela.

Scalfaro, président de la république, était un ancien juge. Il a veillé pendant "main propres" à maintenir l'indépendance des juges.

Les réactions contre les juges visaient avant tout à entraver l'action du ministère public.

Première période: les réactions sont de nature défensive et sont relativement inefficaces (92/93). Plusieurs ministres sont contraints à la démission. La classe politique reste médusée. Lorsque Craxi est mis en cause, il ne riposte pas. Les politiques tentent juste de se protéger. Un décret-loi dépénalise le financement illicite des partis politiques... Cela provoque un tollé général. Et il est retiré. D'ailleurs, le président de la république refuse de signer le décret.

Deuxième période: les réactions contre les magistrats se font offensives (94/96). Une guerre s'installe entre Silvio Berlusconi, nouveau président du Conseil et le pool des juges de Milan. Se sentant menacé, Berlusconi se fait l'exécutant d'une stratégie anti-juges dessinée par Craxi lui-même depuis son exil tunisien. Il fallait démonter le mythe Di Pietro, le juge emblématique de "main propres". Di Pietro est assailli de plaintes concernant sa vie privée (à propos de ses amitiés). Les autres juges sont attaqués pour excès de pouvoir. Toutes ces tentatives ont échoué sur le plan judiciaire. Mais en attendant, les enquêtes des magistrats prennent du retard. Ensuite, ce seront des enquêtes administratives du ministère de la Justice. Ce nouveau type d'action a également échoué. Ensuite, on tente des attaques avec "la force parlementaire". Cela consiste à poser des questions au Parlement sur la manière dont travaille le pool de juges de Milan.

Troisième période: on tente de lutter contre les juges par les réformes. Les enquêtes sont terminées et on passe à la phase des procès. Berlusconi attaque les juges en les traitant de juges rouges au service du parti communiste. Il finit par déposer plainte contre le pool de Milan pour attentat contre la constitution de l'Etat. Peine passible de 10 ans de prison. En 97 une loi réforme le code de procédure pénale. Elle force un co-accusé qui a déposé pendant l'instruction à réitérer son témoignage pendant le procès, sans quoi il est considéré comme nul. De nombreuses procédures en cours et d'anciens procès doivent être repris... La Cour constitutionnelle met fin en novembre 98 à ce projet. La gauche et Forza Italia se mettent d'accord en commission parlementaire pour réintroduire ce projet dans la constitution elle-même. Cette modification est votée le 23 décembre 1999. Il y a des jugements qui tombent du fait de cette nouvelle loi. Il faut rejuger. L'opinion publique s'est lassée. Les magistrats de Milan sont gagnés par le découragement et plusieurs d'entre eux quittent le pool, conclut Denise Detragiache.

Quel que soit le bilan de ce que l'on appelle l'opération mains propres, la détermination d'un homme de convictions comme le substitut Colombo ne laisse aucun doute sur l'intérêt d'une telle démarche et l'importance de telles opérations.

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