LES PORTES DU CIMETIERE

 

BUREAU OVALE, LE 10 JANVIER AU SOIR

- Bilan des pertes messieurs ?

Le Président avait vraiment sa tête des mauvais jours. Il comprenait enfin qu’il avait, comme tout le monde, sous-estimé l’organisation contre laquelle il luttait.

William T. Anderson, le directeur de la C.I.A., se lança dans une trop longue liste de points critiques :

- Bien. Nous sommes devant une attaque en règle et nous sommes quasiment impuissants. Nous limitons la casse en tentant de répliquer au coup par coup quand nous arrivons avant les méchants sur le site visé. Nous avons sauvé deux avions, cinquante-cinq banques en Europe et ici, dix de nos ministères, aucun en Europe. Pardon, je rectifie, un en Allemagne. Nos marchés sont indemnes en termes de serveurs et de réseaux. En revanche, les acteurs sont comme des fous et nous vivons la crise la plus importante de tous les temps. L’indice général de New York qui avait déjà perdu 3000 points il y a quelques jours est retombé à 3500 points, un niveau dramatiquement bas qui nous a contraint à tout arrêter à nouveau. Deux tentatives pour remettre en route les marchés se sont soldées par de tristes échecs. L’indice a dégringolé à chaque fois. Au niveau des routeurs et des backbones, nous tentons de sauver ce qui peut l’être. Nous avons fort bien réussi pour les backbones, chien échaudé craint l’eau froide, mais pas pour les routeurs.

Parmi les mauvaises nouvelles :

Quarante trois avions de ligne dans le monde se sont écrasés, faisant 6.534 morts.

Douze avions militaires sont également partis au tapis.

La plupart des aéroports sont fermés et les avions posés.

C’en est fini pour cent-huit banques qui ont perdu complètement leurs systèmes d’information. Backup compris.

Cela joue aussi sur les marchés qui sont dépendants de l’activité des établissements financiers. Tout est lié…

Au niveau gouvernemental, nous avons enregistré des milliers d’attaques sur les serveurs non classés secret-défense. Un grand nombre ont réussi. Je dirais 49% selon les derniers chiffres. De ce total, nous pouvons imaginer que 30% des serveurs et 28% des réseaux auxquels ils sont liés sont morts. Une attaque réussie a eu lieu contre le SIRPNET, le réseau militaire secret sous I.P. Elle a touché notre centre de traitement et de dispatching des messages militaires. C’est très handicapant, mais nous faisons marcher le téléphone, le fax, et quelques autres vieilleries, comme au bon vieux temps. En Europe, la situation des réseaux gouvernementaux est terrifiante. Rien, ou presque, n’était sécurisé comme cela l’aurait dû. Ce sont des enfants

Les marchés plongent car les rumeurs négatives sur le modèle de I.M.G. ont explosé. Plus un seul chiffre de la FirstCorp n’est crédible, ce qui complique encore les choses. Comme je vous le disais, les principales places qui étaient ouvertes sont fermées.

Enfin, au niveau du réseau, ce n’est pas une réussite. Les backbones continuent de tenir contre les attaques, mais les routeurs n’en font qu’à leur – nouvelle - tête. Vous tapez www.barclays.co.uk et vous obtenez www.cybersex.com. tout est sens dessus dessous et Network Solutions a du mal à faire un point exact de la situation. En plus des effets néfastes des reconfigurations sauvages des routeurs, les informations concernant de nombreux domaines ont été modifiées dans leur base. En ce qui concerne les entreprises, nous estimons que 40% d’entre elles avaient un système d’information reposant trop, d’une manière ou d’une autre, sur Internet. Sur ce total, 99% sont littéralement perdues. Tout au moins auront-elles fait faillite dans un mois ou deux…

Le Président se pencha en avant et dévisagea l’assistance.

- Messieurs, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais près d’un tiers de l’économie de notre pays repose d’une façon ou d’une autre sur Internet. Et dire que j’ai contribué au développement de ce réseau qui est en train de nous pourrir la vie… Bref, quoi qu’il en soit, comme je comprends assez clairement que nous ne pouvons que compter les points, je vous propose de tenter de lire l’avenir dans une boule de cristal. Que faire pour sauver nos entreprises ? Je dis nos entreprises, mais je parle à l’échelle de la planète. N’en doutez pas, ce qui est en train de se passer va avoir des conséquences dramatiques. Prenez simplement des boîtes comme Cisco ou Dell, qui réalisent une majeure partie de leur chiffre d’affaires au travers d’Internet, imaginez toutes les entreprises qui utilisent le réseau comme vecteur de leur système d’information étendu… Je pense là aux Extranets, Intranets et à l’utilisation de l’e-mail qui s’est généralisé dans la plupart des sociétés… C’est un désastre ! Je vous le demande à nouveau, que pouvons-nous faire pour sauver ces entreprises ?

William T. Anderson, le directeur de la C.I.A., qui semblait tout à coup sortir d’une phase de réflexion profonde, leva les yeux vers l’assistance.

- Nous avons plusieurs options. Je vous propose d’entrer dans une phase de destruction massive de tous les membres de l’organisation que nous avons pu identifier. J’en conviens, cela ne fait pas grand monde. Toutefois, nous savons où se trouve leur base du Pacifique grâce à l’une de nos taupes et nous pouvons déclencher une recherche précise avec l’aide de la N.S.A. si nous pouvons organiser une nouvelle participation à une de leurs visioconférences.

Alan Jones sourit.

- Je crois, messieurs, que nous avons perdu et qu’il s’agit d’un échec et mat. Je crains, monsieur le Président, qu’il n’y ait strictement rien à faire pour sauver les entreprises dont vous parlez. Et donc, notre système économique actuel. Les entreprises se sont mises elles-mêmes dans la situation où elles sont actuellement. Elles ont couru après des mirages. Des cabinets de consulting leur ont vendu des prédictions trouvées au fond d’une boule de cristal et selon lesquelles Internet allait générer des milliards. Elles ont plongé et voilà le résultat. Pour quelques dollars de plus, elles se sont suicidées en ouvrant leurs systèmes d’information au monde entier, sans se méfier… Elles dépensaient des milliers de dollars toute l’année pour surveiller la presse et rien pour surveiller ce qui se disait à leur propos sur Internet… Leurs services de communication, leurs services informatiques étaient incapables de sauver les meubles en cas de pépin… Méritent-elles d’êtres sauvées après tout ?

- Vous voilà bien philosophe et défaitiste, Alan, tenta le Président…

- Je crois qu’il a raison, monsieur, répondit Michael Collin.

- Mais c’est impossible, le système capitaliste est le meilleur, il a triomphé du communisme et l’a réduit en cendres ! L’Amérique est la première puissance mondiale ! Le gendarme du monde !… baragouina Kevin Johnson, le regard perdu. Tout ça c’est de la faute de ces informaticiens et de ces ordinateurs de malheur ! poursuivit-il à voix plus intelligible.

- Non Kevin, rétorqua Michael. C’est de la faute des utilisateurs. Nous avons créé des outils. Les utilisateurs en ont fait ce qu’ils ont souhaité. C’est le libre arbitre. N’a-t-on pas par exemple donné la Terre aux hommes ? Ils en font ce qu’ils veulent. Et ce n’est pas joli. D’ailleurs… ils se sont approprié la Terre. Comme ils se sont approprié le réseau. Or, le réseau n’a jamais été bâti pour faire du commerce électronique ou des échanges sécurisés ! De même que les atolls polynésiens n’ont jamais été créés pour y faire exploser des bombes atomiques ! Si vous faites du business sur des fondations non sécurisées, ne vous attendez pas à ce que votre business soit sûr !

Johnson sentait le sol s’écrouler sous lui. Comme s’il se retrouvait d’un seul coup en apesanteur, sans repère. Son monde, celui qu’il avait idéalisé, s’écroulait.

Le Président coupa court aux discussions philosophiques qui semblaient s’engager :

- Bien, nous allons attendre et voir. Demain est un autre jour et peut-être que tout cela débouchera sur quelque chose de complètement différent que ce à quoi nous avons pensé jusqu’ici… Messieurs, la séance est levée. Je vous demande de me tenir au courant de la situation toutes les deux heures.

 

SIEGE DE GLOBAL MBATCHS, NEW YORK, LE 10 JANVIER FIN DE SOIREE, SALLE DU CONSEIL

 

L’ambiance semblait tendue dans la grande salle de réunion. Global Mbatchs était une référence dans le milieu du consulting. Son activité allait du conseil juridique et financier de haut vol jusqu’à la mise en place de systèmes d’information et d’aide à la décision. Les systèmes de back office en tout genre mais aussi le conseil en management n’avaient pas de secret pour les cadres de cette honorable entreprise. La panique déclenchée sur Internet par l’organisation semblait toutefois avoir pris de court les équipes informatiques.

George Hamilton, le Chief executive officer (CEO) de Global Mbatchs lança le débat :

- Messieurs, je veux un point précis de la situation. Dans l’ordre de parole, je veux entendre l’informatique, avec en premier lieu, le DBA, le Sysadmin général, celui des serveurs Web, celui du Mail, les administrateurs du réseau interne et du réseau mondial ; je veux savoir l’impact de la crise pour les forces de vente. Je dispose d’un rapport précis mais qui a déjà 16 heures de retard. Messieurs, je vous écoute !

Le responsable des bases de données de la maison sentit un nœud dans la gorge au moment de prendre la parole.

- Monsieur, nous avons noté que nos bases ont subi quelques modifications via un programme qui a été déposé il y a quelques mois sur le réseau. Pour faire simple, je peux le décrire de la manière suivante. Il communiquait, en utilisant un protocole très courant, avec des serveurs Web quelque part sur Intertnet et s’y fournissait en instructions. Il a détruit le contenu de nos bases et l’a remplacé par d’autres données téléchargées sur ce serveur. Notre procédure de sauvegardes automatiques a continué de fonctionner et, au bout de trois jours, nous avions effacé toutes nos sauvegardes de vraies données… Bref, nous n’avons plus rien… Je dois vous dire que nous ne pourrons restaurer l’ensemble de notre contenu initial. Seuls trois sites dans le monde disposent d’une partie de notre contenu. Quatre bases de connaissances sur douze pourront être ainsi restaurées. C’est tout.

L’administrateur système se dit qu’il ne pouvait pas annoncer quelque chose de pire et se lança sans trop d’angoisses. Bien sûr, la situation n’était pas rose mais lui, au moins, pouvait remettre en état les systèmes dont il était responsable…

- Le petit programme dont parle mon collègue avait également pour mission de détruire nos systèmes d’exploitation par quelques commandes à une date précise. Ceci explique pourquoi vous n’avez pu allumer vos postes et pourquoi nos systèmes centraux ont été éteints pendant trois jours. Toutefois, nous avons pu remettre tout en place et tout fonctionne à nouveau à peu près. Notre sous-traitant qui travaille sur nos applications avec la filiale chargée de la création de programmes de gestion de back office a pu sauver la majeure partie des applications que nous utilisons. Et c’est une chance. En effet, ledit programme nuisible avait pu enregistrer – sniffer serait plus technique et correct - le nom d’utilisateur et le mot de passe que la direction informatique utilise pour procéder aux mises à jour de logiciels à partir du réseau de ce sous-traitant, ce qui s’est traduit par une tentative de destruction des données qui y sont stockées. La tentative a pratiquement totalement échoué.

Le responsable des serveurs Web regrettait fortement de n’avoir pas pu embaucher une équipe de spécialistes sécurité pour ses serveurs… Un problème de budgets, lui avait-on dit à l’époque.

- Tous nos serveurs sont morts. Le contenu a disparu pour les mêmes raisons que celui des bases de données et nous ne pouvons plus rien faire. Il me plaît aujourd’hui de vous remettre ma démission et de vous dire la chose suivante : vous avez refusé l’embauche d’une équipe sécurité alors que nous ouvrions notre réseau sur l’extérieur. Vous avez fait des économies de bouts de chandelle, vous vous êtes crus plus malins que les autres, assumez-en les conséquences. Adieu messieurs…

Il partit d’un grand rire, se leva et tourna les talons…

Même dans une situation plus que critique, les personnes présentes furent incapables de reconnaître leurs erreurs. Les mêmes qui avaient refusé la création des postes commentèrent le départ du responsable des serveurs Web en reportant la faute sur ce dernier :

- Quel lâche ! Il n’est même pas capable de faire face aux problèmes… Personne n’a vu cela dans son dossier au moment de l’embauche ?

Le responsable des serveurs de mail, l’application d’Internet la plus usitée des salariés, se dit qu’il fallait bien y aller à un moment ou à un autre… Bien sûr, il y avait mille entreprises qui l’embaucheraient demain, mais il était toujours persuadé que Global Mbatchs était la meilleure entreprise au monde…

- Je dois vous dire que le système de mail est mort également et que nos filiales sont coupées du centre. Même si nous avons loué des fax, il est vrai que, pour des raisons économiques, nous avions entamé une réduction massive de leur nombre, ce qui… nous pose problème aujourd’hui. Nous pouvons espérer remettre en route des serveurs de mail temporaires mais nous avons toujours un problème car nous sommes tributaires de la date de remise en route du réseau, des systèmes et, plus généralement, des postes clients des utilisateurs.

- Justement, qu’en est-il du réseau interne ? Et notre réseau privé virtuel mondial ? demanda, l’air de plus en plus renfrogné, George Hamilton.

Le responsable du réseau privé virtuel mondial tenta une difficile vulgarisation pour expliquer comment les données de la société circulaient tantôt sur le réseau Internet, tantôt sur des câbles contrôlés par Global Mbatchs, comment les données étaient parfois cryptées et, parfois, circulaient en clair. Quoi qu’il en soit, il devait bien arriver à la même conclusion que ses petits camarades : sans utilisateurs, sans serveurs, sans systèmes d’exploitation, il était difficile de remettre en route le réseau. Ses équipes travaillaient à la remise en route des routeurs qu’elles avaient pu identifier. Mais il faudrait plusieurs jours avant que les premiers messages puissent être échangés de manière sûre entre New York et Paris, Londres ou Francfort.

Le patron des commerciaux était un homme étrange. Son apparence extérieure aurait pu laisser croire, au premier regard, à la présence d’un certain chic britannique. Mais il n’en était rien. Cet homme d’une cinquantaine d’années était capable d’actions d’une vulgarité sans égale. Mais plutôt lorsqu’il se croyait seul dans son bureau. La porte ouverte pouvait aisément laisser échapper un reniflement gras et profond ponctué de gargarismes douteux. Et le costume Prince de Galles ne suffisait pas à effacer ce manque de tact.

L’homme savait mener une discussion et amener son interlocuteur là où il l’entendait. Paradoxalement, il était incapable d’écoute. Une explication technique ne pouvait retenir son attention plus de quelques secondes. Il était donc capable d’asséner une incongruité technique à un client comme s’il s’agissait d’une vérité indiscutable. Heureusement, l’entreprise comptait quelques consultants à peu près bons, pour rattraper par la suite ce genre de dérapages.

Enfin, il était sans doute capable de se mettre tout nu et de danser la danse de la pluie sur le bureau de la salle du conseil si le grand patron le lui demandait, vues les compromissions qu’il faisait à longueur d’année avec ses supérieurs afin de sauver sa peau. Cependant, il savait être condescendant et désagréable à souhait avec ses subordonnés. Comme si cela faisait partie de son travail. En fait, cela devait être naturel chez lui.

Son tour venait et il ne parvenait pas à cacher son émotion. Ses deux dents centrales supérieures apparaissaient sous ses lèvres qui remontaient dans un mouvement incontrôlé et récurrent. Une sorte de grimace étrange qui lui donnait un air de lapin proche du stade terminal de la myxomatose.

- Messieurs, j’ai personnellement joint tous nos grands comptes pour les tenir au courant de la situation et les rassurer sur l’avenir. Je leur ai dit que nous allions contrôler la situation d’ici à trois jours. Certains s’inquiètent car des rumeurs sur les marchés laissent entendre que la comptabilité externalisée d’une bonne partie de nos clients aurait été détruite ou serait entre les mains d’un groupe de pirates du Web. Mais mon action personnalisée a porté ses fruits et nos gros clients sont désormais rassurés. Il ne faudrait toutefois pas que nous ne puissions leur annoncer une reprise des opérations dans trois jours. Je compte sur mes collègues de l’informatique pour faire le maximum dans ce sens.

George Hamilton n’était pas complètement idiot et il posa une question :

- Monsieur Hammer, quel est le manque à gagner de vos équipes depuis le début de la crise ?

- Heu. Nos calculs ne sont pas tout à fait sûrs, mais je crois que nous pouvons avancer le chiffre provisoire de 150 millions de dollars de chiffre d’affaires perdu.

- C’est ce que nous vous demandions, précisa George Hamilton

- Il nous faut maintenant prévoir l’avenir. Quels sont les délais raisonnables pour que nous puissions atteindre 50% de nos capacités initiales ?

Les responsables informatiques avaient prévu la question et l’un d’entre eux, désigné à l’avance répondit pour les autres :

- Il faudra au moins un mois pour cela, monsieur.

Un silence traversa la salle…

- Monsieur, j’ai le regret de vous annoncer qu’il est très peu probable que nous survivions à cette crise, avança le responsable du département audit interne. Il avait procédé à des extrapolations et ses courbes montraient que l’entreprise tiendrait le coup si elle pouvait conserver 46% de sa clientèle et reprendre des opérations à 50% des capacités avant vingt et un jours.

- Que cela soit clair donc… Si nous ne parvenons pas à remettre la machine en marche à 50% de ses capacités d’ici à dix-huit jours, vous pointerez tous au chômage ! lança le " vieil hibou ", comme aimaient à l’appeler ses secrétaires…

Tout était dit. Mais il y avait peu de chances pour que cela permette d’éviter le pire…

Global Mbatchs était une entreprise à la pointe en matière de reporting, et l’informatique n’avait rien à voir avec cela. Bien avant la généralisation au niveau mondial des logiciels permettant aux salariés de remonter en temps réel, vers leur hiérarchie, l’état de leurs quarts d’heure de travail, la société avait instauré un reporting manuel et, toutes les nuits, un " closing " était fait, permettant de savoir qui avait fait quoi au cours de la journée précédente. Le jour de la panne informatique, après une heure de problèmes variés, le service informatique avait lancé le mot d’ordre : tout le monde basculait en manuel pour le reporting. Les secrétariats de tous les chefs de divisions avaient été mis au courant en moins d’une heure. Ce basculement et cette habitude de toute l’entreprise avait permis au responsable du service audit interne de réaliser les prévisions qui allaient peut-être aider à surmonter cette crise majeure. Tout au moins Global Mbatchs savait-elle où elle allait, ce qui n’était vraiment pas le cas des autres entreprises dans son cas.

 

UNE DU WALL STREET JOURNAL, LE 11 JANVIER

 

Les autorités de marchés sont dépassées et l’on se demande aujourd’hui ce que sont devenus les milliards de dollars dépensés pour prévenir les effets d’une cyber-guerre. Car le mot n’est sans doute pas déplacé. Selon nos informations, une organisation terroriste aurait décidé de faire plier les Etats-Unis en utilisant les réseaux informatiques comme terrain militaire. L’Armée et les agences de la communauté du renseignement ont plaidé ces dernières années pour obtenir des budgets chaque fois plus importants afin de prévenir un " Pearl Harbor électronique ". Il semble que les budgets aient été mal employés.

Toujours selon nos sources, le plongeon actuel des marchés financiers serait le résultat du désordre que connaît Internet. Le réseau des réseaux est en effet devenu fou et il est désormais pratiquement impossible de joindre une grande entreprise sur le World Wide Web.

Certains hackers, membres de la communauté underground du réseau, ont indiqué à nos reporters que les principales bases de données qui permettent de trouver son chemin sur Internet ont été altérées. Ce qui a été démenti par les entreprises responsables de ces bases. Reste que les hackers en question sont actuellement en train de réfléchir à une action pour sortir de l’impasse.

Pour sa part, la Maison-Blanche aurait réuni un comité de crise qui serait en alerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Toutes les tentatives de la presse pour obtenir des informations de la part des autorités sont restées vaines. Une consigne présidentielle de silence absolu aurait été donnée.

Le silence est un refuge bien peu courageux. D’autant que la Maison-Blanche avait promis il y a déjà quelque temps l’arrestation d’une bande de malfaiteurs qui tentaient de déstabiliser nos entreprises et les marchés financiers. S’agit-il des mêmes malfrats ? […]

 

SIEGE DE LA S.E.C., LE 11 JANVIER EN MILIEU DE MATINEE

 

Alan Meredith, le Président de la S.E.C., ne semblait pas dans son meilleur jour. Il était très pâle.

- Messieurs, je crois que nous sommes dans une situation critique. Je n’ai jamais vécu un tel drame et j’imagine que seul 29 peut être une crise comparable. Toutes nos tentatives pour rouvrir les marchés ont échoué. L’indice s’écroule à chaque fois. Des marchés gris s’organisent et de nombreuses entreprises annoncent déjà la cessation de leur activité. L’importance prise par Internet pour la bonne marche d’un très grand nombre d’entreprises les empêche d’imaginer poursuivre leur activité sans un rétablissement immédiat de la situation. Ce qui est totalement impossible. La Maison-Blanche me tient au courant du travail de nos agences, mais il semble que nous ne puissions que tenter de sauver les meubles ; la maison, quant à elle, s’écroule. J’attends vos suggestions.

Aucun des collègues d’Alan Meredith ne put apporter une solution valable au problème soulevé par la soudaine folie vendeuse des opérateurs.

En revanche, la discussion dura toute l’après-midi et il fallut apporter des sandwichs. Les rois de la finance présents autour de la table ne connaissaient pas grand-chose à Internet sur un plan technique. Ce n’était d’ailleurs pas ce qu’on leur demandait. Mais ils ne purent s’empêcher de se lancer dans des explications techniques aberrantes de ce qui se passait sur le réseau. Leurs propos étaient techniquement incohérents, mais ils étaient tellement sûrs d’eux que cela pouvait sembler tout à fait vrai à quiconque n’était pas un spécialiste. Un peu comme dans les dîners en ville où chacun souhaite expliquer qu’il a surfé sur le Web avec Internet, le fournisseur d’accès d’AOL, tout en recevant un e-mail grâce au réseau. Tout ça, avec la dernière version d’Internet que l’on a trouvée dans le CD-Rom de son magazine préféré.

Mais toutes ces discussions ne pouvaient résoudre un problème insoluble : Internet était devenu fou, les entreprises avaient trop misé sur le réseau pour travailler (e-business, messagerie, Extranet, Intranet, sites Web…) et elles étaient en train de mourir. Les marchés étaient comme fous et, dès qu’une nouvelle cotation était tentée, les indices partaient en chute libre. La presse ne faisait que relayer l’inquiétude des opérateurs.

 

INTERNET, LE 11 JANVIER

Le message crypté fut reçu en début de matinée par le responsable de l’équipe D. Il en prit connaissance avec un flegme étonnant. Celui d’un tueur professionnel sans doute.

Le message émanait de son autorité suprême et il devait appliquer les ordres dans les quatre jours qui suivaient au plus.

Il prit ses dispositions et l’équipe se mit en branle. Les hommes qui la composaient se virent attribuer des cibles. Il fut convenu qu’ils se retrouveraient tous à New York, dans un appartement désigné par leur autorité suprême quatre jours plus tard.

 

PAYS DE L’EST, LE 11 JANVIER EN MILIEU D’APRES MIDI

Jack regardait son écran. Il était plongé dans le compte-rendu des derniers événements sur le serveur informationnel @news. Il savourait son triomphe. Son visage s’illuminait au fur et à mesure de sa lecture. Le journaliste avait en effet tenté d’expliquer le délire ambiant sur Internet. Ses spéculations amusaient Jack qui savait combien elles étaient loin de la vérité.

Le journaliste arrivait même à citer un membre du Pentagone selon lequel tous ces problèmes enregistrés sur le réseau des réseaux seraient l’œuvre de pirates informatiques chinois.

Jack se tourna vers Joe, qui en était déjà à la moitié de la bouteille de vodka posée sur le bureau devant lui.

 Tu vois, ils sont toujours aussi perdus. Nous sommes les meilleurs. Impossible de nous trouver, impossible de comprendre. Nous avons semé la panique, mais, surtout, le doute dans leurs esprits. D’ici quelque temps, nous pourrons nous attaquer à toutes sortes d’autres pays que les Etats-Unis.

 Da, rétorqua Joe qui commençait à avoir l’œil vitreux.

A cet instant, un homme cagoulé entra dans le bureau. Un rayon vert passa en moins d’une seconde du front de Jack au cœur de Joe.

Les deux anciens du K.G.B. et du S.V.R. s’effondrèrent comme de lourds paquets de patates sur leur bureau respectif. Le sang commença à se répandre. Personne ne viendrait les aider dans ce bureau reculé qui n’accueillait jamais personne d’autre qu’eux… Ils seraient sans doute découverts d’ici à quelques semaines en raison de l’odeur ou parce qu’ils n’auraient pas payé le loyer…

L’homme de l’équipe D s’éclipsa comme il était venu. C’est-à-dire sans un mot, sans un bruit. Arrivé dans le hall de l’immeuble, il tira sur une cordelette qui dépassait de son col. Sa combinaison noire se transforma en chiffon et laissa apparaître des habits de ville. Il se fondit dans la foule et jeta sa combinaison dans une poubelle. Une heure plus tard, il était dans un autre bureau, pour une autre mission, plus discrète, mais tout aussi mortelle…

 

UNE DE PLUSIEURS JOURNAUX PARTOUT DANS LE MONDE, LES 11, 12, 13 ET 14 JANVIER

 

Meurtre sanglant du président de la Soco, Corp.

Le président de la première entreprise agro-alimentaire du pays a reçu une balle en pleine tête alors qu’il présidait le conseil d’administration. Selon les premiers éléments de l’enquête, la balle a été tirée depuis un immeuble en construction, distant de près d’un kilomètre. Il s’agirait donc de l’œuvre d’un professionnel […]

Un mafieux présumé meurt dans un grand restaurant

Alors qu’il venait d’avaler la dernière goutte de son café, J.K. a été foudroyé et s’est écroulé sur la table du restaurant " Au gai Paris ", connu pour l’excellence de ses mets. Depuis des années, la police tentait, en vain, de rassembler des preuves contre celui qu’elle considérait comme un ponte de la Mafia. J.K. disposait de revenus très importants dont l’origine était incertaine. Mais la loi […]

Le colis mortel foudroie un Lord !

Deux minutes après avoir reçu un banal colis via Federal Express, un Lord a été frappé d’apoplexie. La police soupçonne la présence d’un terrible poison sur le carton du colis. L’objet a été transféré au siège de la police scientifique […]

En quatre jours, ce sont un peu plus d’une centaine d’articles ou de brèves de ce type qui émaillèrent les journaux à travers le monde.

 

PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, LE 15 JANVIER

 

Subject: What do YOU think you know?
Date: Mon, 15 Jan 2000 09:38:04 +0100
From: Bill Clinton bclinton@whitehouse.gov
To: pmartinie@lafinance.fr

Cher Pierre,

Toutes les pistes sont en train de se refermer et je doute que quelqu’un puisse un jour comprendre, à part vous peut-être, ce qui s’est passé ces derniers mois. La guerre est finie par abandon unilatéral de la part des méchants.

A bientôt

Bill

Pierre tenta de comprendre le message de Bill. Mais il lui était impossible de déchiffrer ce charabia. Les autres fois, il avait généralement pu deviner ce que son mystérieux interlocuteur tentait de lui faire comprendre. Mais là, il restait interdit devant son écran.

Le mal de tête risquant de le gagner, Pierre décida de s’aérer l’esprit en lisant le journal qui était posé sur le bureau de son voisin.

A la rubrique Monde, son regard passa sur une brève :

Colis mortel

Un Lord britannique a été tué grâce à une méthode que n’aurait pas reniée Agatha Christie. Un poison mortel avait été déposé sur le contenu du colis qu’il avait reçu par la poste quelques minutes plus tôt.

Quelques secondes plus tard, il poussa un juron qui fit sursauter son voisin.

- Merde ! ! !

- Eh bien ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Là ! Là ! Dans le journal, la réponse au mail ! Les cartes sont effacées !

- Oulalalala… Tu ne vas pas mieux, toi… Moi, à ta place, je sortirais un peu d’Internet. D’abord ça te prend la tête et, en plus, tu ne fous plus rien. Selon ce que je me suis laissé dire, le rédac’chef va te convoquer pour savoir où tu en es de ton enquête du siècle…

- Ouais, ouais…

Pierre venait de comprendre le contenu du mail de Bill. Les membres de l’organisation étaient en train d’être tués. Il se rua sur les archives en ligne du même journal et fit une recherche sur les morts récents. Il put rapidement dresser une liste importante. En quelques minutes, l’imprimante cracha toutes les pages qui permettraient à Pierre de démontrer sa théorie aux autres…

Une heure plus tard, Pierre était dans un café avec les membres de la D.S.T., Dominique et Gérard da Silva, Neil Mulder et André. Les représentants du ministère de l’Intérieur étaient, comme toujours, relativement paumés et faisaient gentiment du suivisme. Neil écouta la théorie de Pierre.

- Penses-tu que ta source est une tête au-dessus des deux têtes qu’il nous avait indiquées ? Qu’il est en train de faire le vide avant de disparaître ?

- Je ne sais pas, Neil. Honnêtement, je suis un peu paumé là. J’étais sûr jusqu’ici que ma source était en dehors de tout ça. J’avais même fini par croire qu’il faisait partie de l’entourage de ton président ou du mien. Mais là…

-  Attendez, attendez, vous voulez dire que si tout disparaît, il sera impossible de trouver des coupables à mettre en prison, que l’on ne pourra pas récupérer les milliards détournés par ces opérations de déstabilisation ? Mais que va dire le public ?

- Gérard, taisez-vous un instant s’il vous plaît, demanda fermement Neil. Je vais demander confirmation à Washington pour toutes ces disparitions violentes. Le Lord anglais est bien celui que nous avions identifié avec la liste de Juan Contreras. Il y a peu de chances pour que ce ne soit pas ce que tu dis Pierre. C’est la merde… Je dois aussi m’assurer que Jim a pu quitter rapidement la base du Pacifique. Je sais que les marines doivent y débarquer aujourd’hui ou demain, la C.I.A. et l’Armée ayant obtenu le feu vert du Président. C’était dans mon courrier de ce matin. "

Tout le monde se sépara, sauf Pierre et André qui firent un bout de chemin ensemble.

- André, tu crois que c’est fini ?

- Ben… Si c’est fini, tout commence. Les marchés sont comme fous, les boîtes s’écroulent les unes après les autres… J’ai entendu dire ce matin que le mastodonte nouvellement créé dans le secteur bancaire fermait boutique. Il y a la queue devant les agences. Regarde, là, celle-ci…

Effectivement, une cinquantaine de personnes attendaient devant la porte de la banque. Mais celle-ci continuait de garder portes closes.

- Tout commence ?

- Ben oui, que veux-tu, cela va être le chaos. Mais pas celui qui plaît aux hackers. Alors ils vont lutter. Ceux qui vont tenter de prendre le pouvoir vont se faire allumer. On verra bien…

- Je me demande qui est Bill.

- Oui, moi aussi. Pourtant, je crois que cela n’a plus d’importance.

- N’empêche. Je suis patient. Je trouverai.

 

PARIS, SIEGE DE LA D.S.T., LE 15 JANVIER AU SOIR

 

Neil s’avança dans le bureau de Gérard. Ce dernier tentait toujours de faire des projections, d’analyser la situation, mais surtout d’anticiper. Car c’était bien ce que lui demandait sa hiérarchie. Anticiper.

Il en était pourtant totalement incapable en l’état actuel des choses. Il savait bien depuis le matin que tout partait en couilles. Mais que dire d’autre ? Etait-il possible de donner des noms ? Qui étaient les mystérieux responsables de tout ce bordel ? Comment récupérer les milliards mis de côté par cette maléfique et trop secrète organisation ? Gérard eut un flash. L’image du responsable du S.P.E.C.T.R.E. caressant son chat dans James Bond lui traversa l’esprit.

Neil nota son air ahuri…

- Well, What’s up man ? Tu rêves à quoi ? lui dit-il avec son fort accent américain.

- Heuu… rien, je tente de rédiger le rapport pour le ministre. Je dois lui remettre ça demain. Tu as des nouvelles ?

- Je rentre à Washington. Il n’y a plus grand-chose à faire. La C.I.A. a dressé une liste des morts grâce à Pierre. Mais les agents sur place, dans les pays où ces hommes et femmes ont été tués ne parviennent pas à récolter d’infos. C’est terrible. Même les banques de ces morts ne les connaissaient pas. Parfois… Parce que, d’autres fois, ce sont tous les documents qui ont été vidés des coffres. Des trucs incroyables… Les caméras de surveillance ont été brouillées avec des techniques extrêmement sophistiquées. Tout ça est normalement accessible pour nos agents ou ceux de la Russie. Mais je ne vois pas où une organisation privée aurait pu trouver tout ça… C’est ennuyeux parce que la C.I.A. est persuadée que des agents du S.V.R. sont impliqués. Elle fait pression sur le gouvernement pour qu’il y ait une intervention au niveau des Etats. J’espère que l’on ne va pas avoir une guerre avec la Russie maintenant. Il ne manquerait plus que ça…

- Tu t’en vas alors… Mais… Cela veut dire que vos services tirent un trait sur tout ça ? On reste en contact quand même. Je veux dire que si tu trouves des choses, tu me files l’info ?

- Bien sûr… Mais je te rassure. Nous ne tirons pas un trait sur toute cette affaire, loin de là. Nous allons tout faire pour comprendre ce qui s’est passé, comment cela a pu arriver et qui est derrière tout ça.

- Bon. OK. Ben on peut peut-être aller boire un coup au café avec Dominique si tu veux, pour ton départ ?

-  OK, on fait ça ce soir.

Neil se dit que les Français buvaient sûrement autant que les Américains. Mais des alcools plus forts. Aux USA, la bière était, comme dans la plupart des pays anglo-saxons, la boisson nationale. Tandis qu’en France le pastis ou le whisky coulaient à flots à l’heure de l’apéritif.

 

NEW YORK, LE 15 JANVIER AU SOIR

L’équipe D était enfin au complet dans l’appartement. Les hommes s’étaient placés autour de leur responsable des opérations. Celui-ci était devant le téléphone.

Une sonnerie retentit.

Il décrocha.

Après avoir échangé quelques mots avec son interlocuteur, il se tourna vers ses hommes. Au moment où il allait leur dire quelque chose, une violente explosion souffla tout l’appartement.

Il avait à peine eu le temps d’ouvrir sa mâchoire.

Elle ne servirait plus jamais.

Les vitres avaient été soufflées dans un rayon de 900 mètres.

 

UNE DE LA FINANCE, LE 16 JANVIER AU MATIN

LA CRISE !

En capitales sur toute la largeur du journal et sur la moitié en hauteur, le titre venait barrer la Une de La Finance. L’article qui suivait était clair. L’économie française subissait le contrecoup de la fermeture des marchés mondiaux. Les problèmes d’Internet démontraient que le réseau n’était pas sûr. Le journaliste en tirait une conclusion pathétique. Il découvrait soudain que les start-up du secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication avaient été surévaluées. L’éditorialiste prévoyait un dur réveil pour toutes ces entreprises lors de la reprise des cotations.

Il soulignait cependant que la Société des bourses françaises (S.B.F.) avait fait une conférence de presse pour indiquer qu’aucune date n’avait été fixée pour un retour à la normale sur les marchés mondiaux. En clair, le bordel était incontrôlable et la réouverture des marchés était repoussée sine die.

Perspicace, La Finance estimait que de grosses entreprises comme BIBEEMEU Inc, reine du business électronique allait subir le contrecoup de son engagement dans ce domaine ces deux dernières années. De même, reprenant l’avis de plusieurs de ses confrères, le journaliste du quotidien financier estimait que la première entreprise mondiale éditrice de logiciels allait pâtir de son manque de sérieux en matière de sécurité. Depuis des années, les hackers du monde entier publiaient articles sur articles pour dénoncer des trous de sécurité et apporter des réponses que la société elle-même ne semblait vouloir apporter. Jusqu’ici, la portée de cette négligence sur les ventes était nulle. Mais cette fois, pronostiquait le journaliste, il était clair que les événements changeaient la donne…

Quelques encadrés permettaient de comprendre l’étendue du drame financier qui se jouait dans le monde. L’effet domino craint depuis des années par le monde de la finance était en train de prendre vie. Depuis bien longtemps, cette théorie permettait aux autorités de renflouer des banques en faillite sur le compte du budget de l’Etat sans que personne n’y trouve grand-chose à redire. L’effet domino était l’idée selon laquelle toutes les banques et toutes les entreprises sont liées entre elles. Les unes et les autres se prêtent et se doivent mutuellement des sommes colossales. Dès lors, si l’une des principales banques mondiales faisait véritablement faillite et que personne ne venait à son secours, il était probable que d’autres suivent, par effet domino. Tout le secteur financier courant ainsi à sa perte.

Bilan, lorsqu’une banque fait faillite, on observe généralement une union sacrée.

Cette fois, l’une des premières banques françaises fermait ses portes. Le gouvernement devait faire une déclaration à ce sujet le lendemain…

Plusieurs sociétés de Bourses annonçaient déjà de grandes vagues de licenciements. Le secteur avait déjà été durement touché au cours des années précédentes. Mais là, cela promettait de saigner…

 

SIEGE DE LA C.I.A., LE 17 JANVIER

Wiliam T. Anderson était dépité. Il voyait son mandat présidentiel s’évaporer au fur et à mesure que le chaos économique grandissait. Il se sentait, paradoxalement, de plus en plus et de moins en moins impliqué par les événements.

D’un côté, il se disait que tout était perdu et que ce n’était même plus la peine de tenter de mettre un terme aux agissements de l’organisation.

De l’autre, il savait qu’en élucidant toute cette affaire il pouvait encore espérer se présenter à des élections dans un pays qui ressemblerait à un pays…

Le responsable de l’agence en charge des pays de l’Est fit irruption dans la salle qui servait de centre de commande vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il s’avança vers le directeur et lui tendit un papier.

Anderson releva les yeux et lui dit :

- Pourriez-vous être plus précis ?

- Monsieur, deux représentants de commerce russes ont été tués en Bulgarie où ils avaient monté une vague entreprise d’import-export qui n’était semble-t-il qu’un paravent. La société n’a jamais fait la moindre affaire. Le bureau était tellement discret que leur mort aurait pu passer inaperçue pendant quelques semaines. C’est le chien d’un voisin, qui a bizarrement hurlé à la mort devant leur porte jusqu’à ce que le gardien ouvre, qui a permis de mettre au jour leur décès il y a quelques jours. Les légistes sont sur place, nous n’avons pas encore reçu le détail de l’histoire.

Ce qui nous intrigue est leur ancienne appartenance aux services russes (K.G.B. puis S.V.R.) et qu’ils ont toujours travaillé en binôme. Or, dans cette affaire, nous avons longtemps cherché un binôme de ce type.

Il est possible que nous l’ayons trouvé. Leur mort est une mise en scène. La police bulgare penche pour un règlement de comptes mafieux. Nous n’en croyons pas un mot. En effet, il est clair que le travail est celui d’un grand professionnel. Plutôt un membre ou ex-membre de services spéciaux qu’un boucher recruté dans une banlieue défavorisée par la Mafia. Une seule balle par personne pour donner la mort. Puis un chargeur vidé n’importe comment dans les corps pour tenter de faire croire à un carnage. Pour nous, c’est gros comme une maison. Ce n’est pas un règlement de comptes…

- Bien, faites passer l’information à Neil Mulder au F.B.I.. Il faut qu’il soit au courant au plus tôt.

Le directeur de l’agence se tourna vers son secrétaire particulier.

- Faites réveiller Olmes. Je veux que ses services aient fini le scénario d’opération psychologique à destination de la population sous 24 heures. Nous devons rétablir la confiance. Les marchés doivent rouvrir au plus tôt !

- Oui monsieur

 

MAISON-BLANCHE, LE 17 JANVIER

 

Le Président américain avait réuni à nouveau tous les protagonistes de l’affaire.

- Alors messieurs ? Où en sommes-nous ?

Anderson prit la parole, suivi par Neil qui put confirmer son discours. Tout semblait perdu à moins que le service des PsyOps puisse fignoler quelque chose qui marche. Mais il y avait peu de chances pour que les opérateurs de marché cessent leurs réactions irrationnelles du jour au lendemain. De plus, privés de chiffres sûrs, ils ne risquaient pas de reprendre confiance…

- La Firstcorp ne semble pas être en mesure de rouvrir la vanne des chiffres avant quelques jours. La société était censée avoir un plan de continuité pour ce genre de problèmes, c’est-à-dire d’avoir un système d’information en double, prêt à démarrer en cas de problème. Mais il semble que ce système n’ait jamais été testé. Et lors de la tentative de lancement, cela a planté. L’idée qui est désormais retenue est de simplement réinstaller tous les systèmes sur l’ancien réseau et reprendre les données contenues dans le système de sauvegarde. La migration de ces données sera certes compliquée, mais au moins, la probabilité de réussite est forte, indiqua le patron de la N.S.A., John Irving.

Les responsables de la communauté du renseignement purent par ailleurs confirmer que de nombreuses personnes avaient été tuées dans le monde et qu’il y avait sans doute un lien avec cette organisation.

- Peut-être la guerre allait-elle prendre fin, faute de combattants ? hasarda Kevin Johnson, l’agent en charge des délits financiers de la N.S.A.

Le Président se tourna vers l’agent.

- C’est très probable en effet monsieur Johnson. Toutefois, je souhaiterais que vous preniez en compte une ou deux variables… Notre économie est pratiquement à genoux, celles des autres pays développés également. Tous les marchés financiers sont clos depuis des jours, ce qui n’était jamais arrivé. Il est peu probable qu’ils rouvrent dans les jours qui viennent. Vous qui êtes un financier M. Johnson, comment voyez-vous l’avenir, même si la guerre s’arrête ?

Johnson devint tout rouge. Chercha un regard de soutien autour de la table, mais ne l’obtint pas.

Michael Collin se demandait s’il devait parler de l’idée qui lui trottait dans la tête. S’il lui fallait faire part de son analyse dans cette pièce où la moitié des gens ne pouvaient faire la différence entre HTTP et SMTP… Il décida que, désormais, il allait redonner une plus grande part à son activité underground. Fini le codage de petits utilitaires pratiques. Fini, le côté bien lisse du hacker qui apporte des outils de protection gratuitement à la communauté. Il reprenait ses habits de chapeau gris (ni pirate, ni hacker) car l’avenir et les événements le lui imposaient.

Bill Clinton prit la mesure du désastre. L’économie risquait bien de s’écrouler totalement. Certains avancèrent que le système capitaliste, l’économie de marché avait déjà subi de nombreuses crises et qu’il survivrait forcément à celle-ci. Ce n’était qu’une question de temps. Le Président leva les yeux au ciel. " Forcément ", comme si cela lui importait. Il voulait savoir quand et comment. De plus, il n’avait pas le temps d’attendre. Et il craignait bien de rester dans l’histoire comme le Président qui n’avait pas pu faire face à ce drame informatico-informationnel.

Neil Mulder hasarda une idée :

- Monsieur, il semble en effet évident que les méchants aient mis un terme à leur entreprise de destruction de nos économies. Pour une raison qui, je le rappelle ici à tout le monde, nous échappe. D’autant que nous savons maintenant de manière à peu près certaine que les deux hommes que nous soupçonnions d’être à la tête de l’organisation ne l’étaient pas… Bref, quoi qu’il en soit, la guerre étant finie, je pense, monsieur le Président, que notre problème majeur est de redonner confiance aux marchés financiers et aux débiles qui travaillent sur ces marchés sans visiblement avoir les nerfs assez solides. Ma proposition est la suivante : organisez une conférence de presse, soyez mélodramatique, comme en temps de guerre. Appelez-en au sens de la nation, de la planète, du marché, de la finance, de ce qui vous semble utile, pour rallier les opérateurs, les banquiers, la finance à votre panache… Il faudrait qu’ils vous suivent comme un guide dans la tourmente. Cela permettrait de calmer les esprits et de redonner confiance.

Dereck Olmes, le patron du service des opérations psychologiques de la C.I.A. sembla sortir d’hibernation. Lui qui était si pâle ces dernières heures venait de virer au rose vif. Ses joues étaient désormais très colorées.

- Mais c’est justement ce que nous vous proposons dans le plan de reprise en main des opinions qui est devant vous, monsieur le Président, dit-il en lançant un regard noir à Mulder.

- Messieurs, je n’aurai pas trop de la nuit pour lire ce dossier et préparer mon intervention de demain au cours d’une conférence de presse exceptionnelle que vous allez convoquer. Je veux toute la presse, je veux que les journalistes soient appelés un par un et qu’on leur dise que je vais faire des déclarations très importantes. Faites leur le coup du super scoop qu’ils risquent de manquer. Je veux que toutes les télévisions réservent leur début de soirée pour moi. C’est très important !

Tout le monde avait compris. Les hommes et les femmes présents dans la salle sortirent en silence et de petits groupes se formèrent dans les couloirs de la Maison-Blanche.

 

BUREAU DE PRESSE, MAISON-BLANCHE, LE 18 JANVIER

Le Président s’était imprégné du dossier fourni par Dereck Olmes. Toutefois, le discours proposé ne l’avait pas ravi et il avait apporté son grain de sel. Bill Clinton avait toutefois retenu la leçon de son dernier passage devant les caméras sous couvert des conseils éclairés des équipes de Dereck Olmes. Il savait qu’il lui fallait avoir un air détendu et enjôler les journalistes. Cette fois, les choses étaient un peu plus complexes car il fallait également avoir l’air de ne pas prendre à la légère la catastrophe économique provoquée par l’organisation.

Bill Clinton entra dans la salle 12 minutes avant le début de la conférence. Le service de presse de la Maison-Blanche avait bien travaillé. Toute la presse était là. Même les correspondants étrangers.

Bill Clinton tenta de paraître aussi détendu qu’il avait pu l’être lors de précédentes conférences de presse. Il répondit à bien plus de questions qu’il ne le faisait d’habitude. Mais la presse ne s’y trompa pas. Le Président était angoissé et n’avait pas de réponse définitive au problème que les pays développés rencontraient. De nombreux journalistes étaient déjà persuadés que les entreprises avaient donné trop d’importance au canal de vente que pouvait constituer Internet. Après avoir, pendant des années, reproché aux mêmes sociétés de ne pas se lancer avec suffisamment de volonté dans le commerce électronique, ils titraient désormais sur le mode " l’aveuglement du monde développé ". Les consultants et leurs études, si souvent citées à longueur d’articles, étaient désormais pointés du doigt par la presse qui leur reprochait un trop grand optimisme dans ce domaine.

Dans la même veine, certains media reprochaient au président et à son vice-président d’avoir trop milité pour le développement d’Internet. Et son manque d’annonces au cours de la conférence de presse, notamment sur l’arrestation d’un quelconque cyber-bandit, ne militait pas en sa faveur. Les articles allaient être mauvais et les responsables du service de presse l’avaient senti. Quant à Dereck Olmes, il avait compris que le travail de son équipe avait été, au moins partiellement, vain.

Au cours de la conférence de presse, Bill Clinton n’avait pas pu annoncer grand-chose, à part la fin des problèmes connus ces derniers temps sur les réseaux électroniques. Il avait expliqué que les services secrets du pays avaient démantelé une organisation terroriste ayant des ramifications partout dans le monde. Il ne put cependant donner aucun détail sur les personnes éventuellement arrêtées comme l’avaient réclamé les représentants de la presse. Mais il assura tout le monde de la fin de ce qui aurait pu être un cyber-conflit mondial. Il félicita les représentants des agences de renseignement et rappela que son Administration avait été à l’initiative de la création de nombreuses officines chargées de lutter contre le cyber-terrorisme. Ces officines avaient été d’une grande aide au cours des mois qui venaient de s’écouler, souligna-t-il. Mais la presse aime le concret. Elle aime aussi pouvoir livrer à ses lecteurs des coupables clairement identifiés ou identifiables. Le discours n’avait donc pas remporté un franc succès.

D’autant que, dans les heures qui suivirent, des petits malins qui surfaient sur le climat actuel et qui avaient tiré les enseignements des actes de l’organisation tentèrent quelques actions de déstabilisation qui achevèrent de convaincre la presse de l’inefficacité des pouvoirs publics. Les marchés n’étaient pas près de rouvrir leurs portes…

 

SIEGE DE LA N.S.A., LE 19 JANVIER, BUREAU DE MICHAEL COLLIN

Michael regardait fixement son écran depuis déjà une heure et demie. Pourtant, il n’y avait rien à y voir à part un logiciel client permettant de se connecter à l’IRC. Il n’avait jamais déclenché de connexion à l’IRC depuis cette machine. Cela s’expliquait de plusieurs manières. La première était que, selon les critères imposés par l’Agence, personne ne pouvait se connecter à l’IRC avec un ordinateur relié au réseau interne. De fait, la batterie de firewall empêchait ce genre d’activité… La deuxième était que Michael préférait apparaître sur l’IRC avec son nom de hacker sans qu’y soit accolé un panneau affichant comme adresse quelque_chose.nsa.gov… La troisième et dernière, était qu’il lui suffisait de se connecter depuis son portable qui était posé sur le bureau à côté de l’ordinateur officiel…

Son esprit bouillonnait. Le modèle capitaliste était-il véritablement en train de s’effondrer ? Michael avait plusieurs fois eu des discussions sur ce thème avec des petits camarades du monde underground. Fallait-il faire la guerre aux entreprises non citoyennes, fallait-il couler, via les réseaux, des sociétés qui se permettaient de ruiner la vie de dizaines de milliers de salariés soudain mis à la porte sous de fallacieux prétextes de rentabilité ? Le système capitaliste allait-il un jour aller dans le mur comme le système communiste avait pu le faire ? Bref, Michael, en bon jeune homme américain, avait été " gauchiste " sans le savoir…

Il devait désormais tirer les conclusions de ce qu’il observait depuis quelques mois en témoin privilégié. Un ordre des choses s’écroulait. Qu’allait-il apparaître en lieu et place ? Pouvait-il et devait-il devenir acteur ? Jusqu’ici, il avait suivi les ordres, remonté des pistes, confronté des chiffres, des théories. Mais pouvait-il entamer lui-même, aidé de certains amis, une action contre l’organisation ou ce qu’elle avait engendré ?

Il se connecta au réseau.

En quelques instants, il avait réuni une grosse quinzaine de personnes dans un canal de discussion créé pour l’occasion. Tous lui posaient la même question :

- Tu as rooté une machine de la N.S.A. ?

Il ne répondit pas immédiatement et lança un caillou dans la mare. Il se demandait s’il allait réussir là où tous avaient échoué. Unir pour plus de quelques jours autant de personnalités disparates :

<P1nT0r> Le temps est venu où vous devez choisir entre une union de nos forces et le chaos. Je dispose de tous les éléments pour vous prouver qu’un nouvel ordre va se mettre en place et que, sans une union, nous serons balayés.

La discussion fut longue…

Mais l’union était réalisée.

Il fallait maintenant qu’elle dure…

 

BUREAU DU REDAC’CHEF, SIEGE DE LA FINANCE, LE 20 JANVIER

Pierre avait bien dû répondre à l’appel lancé de manière définitive par son rédac’chef. Cela faisait deux fois qu’il trouvait des prétextes pour ne pas se rendre aux rendez-vous que celui-ci lui avait fixés. Il n’y avait plus vraiment d’échappatoire.

- Salut Pierre. Assieds-toi.

- Merci Chef.

L’odeur de cigare froid prit Pierre à la gorge. Trop tôt le matin, pensa-t-il…

- Bon, Pierre, tu as intérêt à avoir quelque chose de chaud, parce que cela fait des mois que tu ne fous plus rien, que tu n’as pas pondu une ligne et que tu fais une pseudo-enquête sur un truc fumeux de sociétés de données financières qui seraient infiltrées par le Département de la Défense américain. Vas-y, dis quelque chose d’intelligent, parce que je ne te cache pas que tes collègues commencent à jaser et que moi, en plus de me mettre dans une situation difficile, cela me fait chier.

- J’ai une histoire… Mais tu ne la croirais pas. Alors, ce que je vais faire, c’est que je vais te filer ma démission, et puis, je vais aller faire autre chose. Ecrire un livre sans doute. Un livre sur une guerre terrible qui vient d’avoir lieu. Mais vous ne l’avez même pas vue…

- Mais qu’est-ce que tu me racontes ?

- Chef… Qu’est-ce que vous nous racontez là, c’était la question que me posaient les responsables de certaines boîtes financières quand je leur disais il y a un moment qu’ils négligeaient la sécurité de leurs systèmes d’information. Et ils ajoutaient généralement, ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, la plupart comptent leurs abatis.

Pierre eut une courte conversation avec le rédacteur en chef qui ne put que se lamenter sur le départ de son journaliste. Il ne comprenait pas ce qui le poussait à partir. A part, sans doute, le temps nécessaire à l’écriture d’un bouquin…


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